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Comment est-ce-que les groupes pratiquant les principes d'auto-organisation coexistent-ils, se développent-ils et s'éloignent-ils du mode hégémonique de production et d'habitat ? Comment les espaces existent-ils en dehors du cadre législatif qui nous lie tous au contrat social ? Et comment ce cadre législatif s'est-il de plus en plus adapté, jusqu'à légitimer des pratiques néolibérales en Europe et en Afrique du Nord?

En 1649, un groupe de socialistes agraires, appelés aussi «les bêcheux», dirigés par Gerrard Winstanley, a commencé à cultiver illégalement des terres agricoles en Angleterre, pour faire des «terres communales» (où seul le pâturage était traditionnellement autorisé) un site de propriété publique productive et non seulement un espace de résistance passive.

Dans ce cas, à quoi sert la «propriété» ? Si elle est simplement déclarée comme telle, la terre communale productive est ici une «propriété sans-papiers». L'utilisation des terres est conditionnée par des règles, mais pas nécessairement par une «loi» préétablie. Une «loi» aurait plutôt tendance à légitimer la dépossession et la clôture de ce qui était autrefois terres «communes». Dans cette tension ontologique entre le domaine de la propriété et les biens communs, les formes d'occupation des terres engendrent une polémique contre la propriété privée, tout en offrant aux occupants les fonctions d'habitation et de terres cultivables, d'outil autogéré et productif. C’est cela qui permet autonomie financière, logement et moyen de subsistance. Ces questions deviennent nécessairement plus urgentes dans les moments de crise économique et politique mondiale, lorsque d'autres formes de richesse, de distribution de la main-d'œuvre (comme les coopératives de travailleurs) et de logement (squat) deviennent des espaces essentiels et nécessaires de réappropriation, provoquant une séparation avec la règle prédominante d'accumulation du capital.

L'île de Gezirat al-Qursaya, située dans le centre du Caire, est un exemple unique de cette tension. La colonie, formée par les agriculteurs, les pêcheurs et leurs familles, existe depuis des temps ancestraux, sans avoir jamais possédé d'actes de propriété formels sur les terres. Comme l'île est située dans un emplacement immobilier de premier choix, les habitants ont été plusieurs fois menacés d'occupation militaire et de réaménagement forcé, ce qui déplacerait définitivement sa population. Présents de manière récurrente dans les nouvelles locales en raison de la résistance farouche à l'expulsion forcée, l'île et ses habitants sont le symbole de la lutte en cours sur l'importance de la notion de propriété et de ce que cette lutte engendre idéologiquement, non seulement localement, mais sur une échelle plus large.

Pour la version initiale de ce projet, je vais travailler en étroite collaboration avec un groupe d'habitants de l'île à travers un atelier filmé. Durant l'atelier, les habitants seront invités à discuter leur notion personnelle de la propriété au vu de l'histoire particulière de l'île, ainsi qu’à examiner les définitions actuelles de la propriété dans le folklore, le marché de l'immobilier et le droit égyptien recueillies pendant la période de recherche. Grâce à l'atelier et aux débats, ces derniers pourront façonner une définition collective de ce que signifie la propriété. Celle-ci sera ensuite inscrite à la peinture sur une des façades d’un bâtiment de l'île, la rendant visible dans tout le reste de la ville, traditionnellement déconnecté de l'île. Le document vidéo qui en résultera sera exposé à Beyrouth et au Caire en décembre 2014, ainsi que du matériel produit durant la phase de recherche et pendant l'atelier.

À propos de l'artiste

Adelita Husni-Bey est une artiste et chercheuse libyenne née en 1985. Elle est diplômée de l’école d'art de Chelsea et de l’Université Goldsmith en Photographie et Sociologie. Son travail s’attache à différents thèmes tels que les mécanismes de pouvoir et de contrôle économique et politique, ou encore la mémoire collective et ses micro-utopies. C’est sa formation qui a contribué à l’engagement de sa démarche. Une démarche qui remet en question les systèmes dominants d'organisation de nos sociétés actuelles. L’artiste s’attaque au capitalisme qui dirige les domaines du travail, de l'éducation et du logement. En s’interrogeant sur la visibilité contemporaine de l'art qui traite des « communautés sous-représentées », elle cherche des solutions pour déstructurer les schémas de la société occidentale dominante. En ce sens, Adelita Husni-Bey souhaite instaurer une réflexion sur des imaginaires sociaux alternatifs. Sa pratique artistique rassemble dessin, peinture, collage, vidéo et ateliers participatifs.

Ses projets les plus récents sont axés sur le réexamen des modèles pédagogiques radicaux dans le cadre d'études anarcho-collectivistes. Parmi ses expositions personnelles il y a notamment: Green Mountain, ViaFarini/ DOCVA 2010, Deadmouth à la Galleria Laveronica en 2010, Playing truant, Gasworks, 2012. Ses expositions de groupe comprennent: TRACK, musée SMAK, 2012, Mental Furniture Industry, Flattime House, à Londres, 2013, Jens, Hordeland Kunstsenter 2013, Meeting Points 7, MUKHA, Anvers, 2013, 0 Degree Performance, Biennale de Moscou 2013, What is an institution? Beyrouth Saison 4, Le Caire, 2013, We have never been modern, Songeun Art Space, Seoul, 2014, Giving Contour to Shadows, Neue Berliner Kunstverein, Berlin, 2014, Utopia for sale?, Musée Maxxi, Rome.

Adelita Husni Bey a été mise en avant par la presse d'art internationale, avec des articles dans Flash Art, Modern Painters, Ibraaz, Mousee Magazine et Frieze, ainsi que dans des journaux internationaux tels que The Guardian et le Corriere della Sera. L'artiste a récemment terminé le Whitney Independent Study Program à New York et travaille avec les écoles italiennes pour promouvoir la compréhension critique de la crise économique par de jeunes étudiants.


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