Les Oiseaux Gazouillent au-dessus de l’Arbre est une forme de retour aux sources, marquant la première exposition personnelle consacrée à l’artiste algérien Hamid Zénati dans son Afrique du Nord natale. Présentée au Centre d’art B7L9, cette exposition résulte d’une collaboration entre la Fondation Kamel Lazaar et la succession Hamid Zénati, avec le soutien du Goethe-Institut Tunis, réunis pour célébrer l’héritage créatif unique de Zénati.
Artiste autodidacte, Hamid Zénati (1944–2022) est né à Constantine, en Algérie, alors sous occupation française. Sa famille s’installe dans le quartier populaire de Belcourt, un paysage pittoresque en bord de mer qui inspirera durablement son œuvre. Travaillant avec acharnement et presque de manière compulsive, Zénati peignait sur toutes les surfaces à sa disposition, développant un style distinctif qualifié de technique « all-over ». Il construit sa pratique dans les interstices de ses emplois formels. Ses œuvres audacieuses et inventives — textiles, objets trouvés, vêtements et accessoires, céramiques, photographies — intègrent des éléments de langage, des symboles, des couleurs vives, des formes naturelles et une multitude de références aux expressions visuelles de la région.
Le titre de l’exposition provient d’une anecdote familiale, évoquant le tout premier cours d’arabe de Zénati lorsqu’il était écolier en Algérie — un acte discret de résistance mené en secret, à une époque où l’apprentissage de l’arabe était interdit sous le régime colonial français. Cette expérience fondatrice révèle son lien profond avec la langue, forgé dans un environnement multilingue, et son amour durable pour les langues. Parlant couramment le darija, le français et l’arabe, et maîtrisant l’anglais, Zénati apprit l’allemand après son arrivée en Allemagne au milieu des années 1960. Il travailla souvent comme traducteur. En diaspora, où sa pratique artistique s’est épanouie à travers des perceptions fragmentées de sa patrie, il développe un langage visuel foisonnant, moyen d’expression au-delà des mots et des frontières linguistiques.
Sa bibliothèque personnelle, véritable cabinet de curiosités, témoigne de ses intérêts éclectiques : poésie illustrée de Khalil Gibran, classiques de la littérature française, théorie postcoloniale et politique, livres d’artistes, ouvrages sur le design graphique et textile, la géométrie islamique, l’ornementation et les motifs dans la mode et les arts décoratifs, sans oublier des ouvrages sur les costumes arabes historiques, l’histoire de l’Algérie, le Sahara, la musique, le yoga ou encore les traditions culinaires. Sa collection musicale, tout aussi variée, reflète ses goûts pluriels: musique classique, jazz, funk, fusion, musique berbère, et des albums venus du monde entier, d’artistes iconiques tels qu’Oum Kalthoum, Houria Aïchi ou Sun Ra. Zénati écoutait constamment de la musique, qu’il considérait comme un langage à part entière — et dont les résonances se perçoivent dans les qualités rythmiques de son œuvre.
Les œuvres de Zénati sont présentées aux côtés d’objets historiques issus de la collection de la Fondation Kamel Lazaar, apportant un contexte aux riches vocabulaires visuels nord-africains ayant nourri de nombreux artistes de la région et
au-delà. À travers une sélection de céramiques, textiles tunisiens, costumes et tapis, un répertoire éclatant de trésors culturels nord-africains est mis en lumière. En dialogue avec les œuvres de Zénati, ils convoquent symboles, couleurs, calligraphies et formes, puisés dans les mystères visuels de la région.
Cette première exposition personnelle en Tunisie présente l’œuvre protéiforme de Zénati aux côtés de travaux de ses contemporains issus de la collection de la Fondation Kamel Lazaar. On y découvre des artistes d’Afrique du Nord et d’ailleurs, principalement actifs durant la période moderne, avec un accent particulier sur le mouvement moderniste tunisien.
Les artistes présentés incluent: Abdelaziz Gorgi (Tunisie, 1928–2008); Abderrazak Sahli (Tunisie, 1941–2009); Ali Bellagha (Tunisie, 1924–2006); Aly Ben Salem (Tunisie, 1910–2001); Ammar Farhat (Tunisie, 1911–1987); Baya Mahieddine (Algérie, 1931–1998); Brahim Dhahak (Tunisie, 1931–2004); Mahmoud Sehili (Tunisie, 1931–2015); Nejib Belkhodja (Tunisie, 1933–2007); Nja Mahdaoui (Tunisie, né en 1937); Safia Farhat (Tunisie, 1924–2004) et Souhila Bel Bahar (Algérie, 1934–2023).
Les œuvres exposées résonnent fortement avec la pratique artistique de Zénati et ses multiples références littéraires et visuelles. Elles explorent des thèmes et des langages visuels qui traversent abstraction, figuration, architecture, paysage, formes naturelles, matérialité des textiles et calligraphie. Les compositions féminines et oniriques de Baya, les œuvres vibrantes et imaginatives des artistes modernistes tunisiens en quête de l’expression d’une « tunisianité » — telles les visions kaléidoscopiques de Nejib Belkhodja, les tapisseries joyeuses de Safia Farhat, les détails calligraphiques minutieux de Nja Mahdaoui, ou les expérimentations abstraites et expressives de Souhila Bel Bahar — tracent une histoire plurielle de l’art nord-africain, portée par des éclats de couleur étourdissants.
Une sélection d’œuvres de l’artiste irakien Dia Azzawi (né en 1939) figure également dans l’exposition, accompagnée d’un ensemble de publications issues de son vaste fonds d’archives: catalogues d’exposition et ouvrages d’art consacrés à l’Afrique du Nord et au monde arabe. Son expérimentation céramique et ses symboles folkloriques poignants constituent un clin d’œil poétique à la trajectoire de Zénati. Penseur influent qui a marqué l’histoire de l’art moderne arabe, l’archive de Dia Azzawi constitue un cadre de référence essentiel pour comprendre les évolutions artistiques dans la région, en résonance avec les thèmes chers à Zénati — l’exil, la mémoire, un langage visuel ancré dans le tissu du lieu et de l’histoire.
L’exposition présente également une commande artistique de la parfumeuse et artiste interdisciplinaire égypto-libanaise Dana El Masri, qui a conçu deux parfums originaux — Nafs (Souffle, Esprit, Soi) et Joie (2025) — inspirés par la vie et l’œuvre de Zénati. Ces parfums sont présentés aux côtés de souvenirs et témoignages de ses proches, invitant le public à vivre l’œuvre de Zénati dans une expérience multisensorielle. Cette commande propose une immersion plus intime et atmosphérique dans l’univers de l’artiste — une manière de faire surgir sa présence à travers l’olfactif, de rapprocher mémoire et matière, d’évoquer les textures d’une vie vécue en couleur.
Comme le suggérait l’artiste algérien Mohamed Khadda (1930–1991) dans Éléments pour un art nouveau (1964), « Le peintre vit dans un monde qui l’influence et qu’il influence à son tour; et s’il est témoin de son temps, il est aussi créateur de formes nouvelles qu’il impose à ses contemporains ».1 L’œuvre de Zénati incarne pleinement cette idée. Il exposait dans la rue, sur les places publiques, décorait les façades d’immeubles et illuminait les murs aveugles — redonnant souffle et sens à l’art pictural. Les Oiseaux Gazouillent au-dessus de l’Arbre révèle Zénati comme un véritable témoin de son temps, à travers sa création foisonnante, en dialogue avec ses pairs, et en écho aux histoires artistiques de la région. Ces œuvres témoignent des échanges, influences et pratiques du continent, et portent en elles la promesse d’un enrichissement mutuel. En défiant les conventions figées, la pratique de Zénati rejette toute idée de certitude, nous incitant à inventer nos propres significations, au-delà des règles établies. C’est là, nous enseigne-t-il, que commence la liberté.